" Aucun des hommes qui l'avaient prise durant sa courte existence ne l'avait vraiment vue. Aucun n'avait jamais remarqué qu'elle portait un rouge à lèvres couleur bronze, ni qu'elle arborait un joli sourire adorablement ponctué de fossettes. Qu'elle se tressait elle-même les cheveux, qu'elle les nouait en petits macarons bien serrés...
Elle avait dix ans lorsque son premier, son cousin Edwin, âgé de quinze ans, lui avait pris sa fleur en échange d'un sac de bonbons. Les caramels indiquaient clairement la mesure de la culpabilité du cousin. Puis, tout en lui caressant gentiment les cheveux, il avait murmuré à vois basse:
-Si tu le dis à quelqu'un, je te tue."
On dirait que le corps d'Abigail Tansi appartient beaucoup plus à un monde sordide et malfaisant qu'à elle même. Sa rébellion, bien minime malgré l'horreur, ne fera que contribuer à cette réalité épouvantable de l'inégalité des chances sur cette Terre.
L'écriture, épurée jusqu'à la nudité, admirable.
L'intrusion de Adam Haslett, roman Gallimard, 2010, 363 pages.
L'intrusion est son premier roman et quel beau roman. Le choc des générations, le changement des valeurs, la constante tentation des spéculateurs de frauder sans jamais s'occuper des conséquences humaines, les dessous de la finance et de la politique, jamais bien éloignée, les difficultés de l'orientation sexuelle, sont abordées dans un univers résolument actuel et d'un réalisme et d'une vraisemblance à faire froid dans le dos.
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