lundi 27 août 2012

Le texte qui a fait de moi un admirateur de Françoise David!


Réponse à Camil Bouchard - Pour gouverner à gauche, il faut penser à gauche

Françoise David
Porte-parole d'Option citoyenne

Édition du mercredi 29 septembre 2004

Cher Camil, D'abord, merci pour ta lettre, publiée la semaine dernière dans Le Devoir, qui me donne l'occasion, en toute amitié, de préciser ma pensée sur certaines questions. J'en apprécie aussi le ton ferme et courtois qui permet un véritable débat.


Tu me reproches de confondre le Parti québécois et sa gestion des affaires publiques, et tu affirmes qu'il s'agit d'un parti de gauche. Il est vrai que le programme du PQ est largement social-démocrate même si le parti a mis du temps à affirmer ce vocable ! Il est tout aussi vrai que plusieurs militants de ce parti sont des progressistes, je ne l'ai jamais nié.

Le problème, à mon avis, est ailleurs : dans une gouverne qui a trop souvent cédé aux dogmes néolibéraux, dans la difficulté des progressistes du parti à se faire entendre de la direction et de l'aile parlementaire ainsi que dans l'absence d'une perspective globale de transformation du monde dans lequel nous vivons. Un monde néolibéral où les gouvernements démissionnent devant des multinationales milliardaires et où l'atteinte de profits rapides l'emporte sur les besoins humains, la protection de l'environnement et l'équité entre les peuples.

Dans ce monde, l'individualisme est poussé à son paroxysme par des marchands de gadgets et des idéologues grassement payés alors que les citoyens sont appelés à surconsommer et à s'endetter parce qu'il faut vendre. Vendre à tout prix, à n'importe quel prix !

Le Québec aussi

Le Québec n'échappe pas à cette vague néolibérale. En fait, «le vent de droite venu de l'Ontario» que décriait Lucien Bouchard au moment du référendum de 1995 avait commencé à se faire sentir ici même par un appui inconditionnel aux accords de libre-échange qui allaient diluer passablement les pouvoirs des États signataires. Et puis, sous la gouverne de Lucien Bouchard lui-même, le vent de droite a soufflé plus fort sans que les progressistes du Parti québécois y puissent apparemment grand-chose.
C'est vrai, il y a eu la loi sur l'équité salariale et les garderies à 5 $ par jour. Mais que de gestes faits, par ailleurs, qui allaient marquer profondément le Québec d'aujourd'hui : atteinte du déficit zéro en trois ans, occasionnant 30 000 départs volontaires de professionnels du secteur public et nous plaçant en pénurie de médecins et d'infirmières; instauration du Secrétariat à la déréglementation; abolition des décrets dans l'industrie du vêtement, affaiblissant le rapport de force de milliers de femmes, souvent immigrantes; coupes importantes au ministère de l'Environnement, marquant ainsi le peu d'intérêt du gouvernement péquiste pour cette question pourtant centrale; baisses d'impôt qui approfondissent les écarts de revenu entre riches et pauvres pendant que les services publics et les programmes sociaux crient famine; etc.
Mais le pire, et je sais que tu t'en souviens, c'est que ce gouvernement, supposément social-démocrate, a appauvri les personnes assistées sociales du Québec au nom de son sacro-saint déficit zéro. Rappelle-toi ce sommet que j'ai quitté avant la fin en compagnie de François Saillant et de Thérèse Sainte-Marie : le gouvernement péquiste refusait de s'engager à ne pas pénaliser les pauvres dans sa démarche d'équilibre budgétaire. Nous demandions de ne pas appauvrir les plus vulnérables d'entre nous et le gouvernement nous a dit non ! Celle-là, je l'ai sur le coeur. Comme j'ai sur le coeur une réforme de la sécurité du revenu extrêmement insatisfaisante et les réponses navrantes à la Marche mondiale des femmes en l'an 2000.
Et le Parti québécois  ?

Où était le Parti québécois, que disait-il, que faisait-il, tout ce temps-là ? Pourquoi les progressistes de ce parti ne réussissaient-ils pas à se faire entendre ? Se pourrait-il qu'une culture politique bureaucratique et par trop hiérarchique empêche des militants de se faire entendre de l'aile parlementaire et de la direction du parti ?

Bien sûr, en toute justice, je dois reconnaître les efforts de la dernière année du gouvernement péquiste en matière de normes du travail, de logement social, de droits pour les conjoints de même sexe, d'environnement, etc. Trop peu, trop tard, trop électoraliste, Camil. En fait, si je me lance en politique, espérant contribuer à l'unité de la gauche, c'est largement grâce à Lucien Bouchard, à Bernard Landry -- alors vice-premier ministre et ministre des Finances -- et à leurs politiques qui ont tracé la voie pour Jean Charest.

Oui, pour Jean Charest et ses politiques résolument de droite, qui s'appuient sur un mécontentement populaire palpable (et normal !) pour ce qui est de l'état des services publics. Le gouvernement péquiste a massivement réduit leurs budgets, a baissé les impôts, privant ainsi l'État de moyens essentiels à leur fonctionnement, puis est venue l'équipe Charest, qui a décidé de nous arranger ça. Le gouvernement actuel veut instaurer des partenariats public-privé comme si le recours au privé pouvait assurer un accès équitable aux soins de santé, à l'éducation, aux services sociaux, à tout le monde. Quelle mystification !

On a besoin d'un parti de gauche

Voilà pourquoi le Québec a besoin d'un parti de gauche, inspiré par des valeurs écologistes, féministes et altermondialistes. Tu remarqueras que j'ai écrit «féministes» car je continue de penser que ce regard particulier sur le monde est précieux même s'il ne doit pas être le seul.

Un parti de gauche avec une vision du monde qui s'appuie sur la recherche du bien commun : pour moi, cela signifie travailler à un meilleur partage de la richesse, valoriser les services publics et retisser nos communautés en pratiquant diverses formes de démocratie participative.

Cela veut dire aussi travailler au développement économique, social et culturel partout au Québec tout en remettant en question la dérive productiviste qui nous entraîne à piller la nature, à nous endetter, à nous épuiser à force de vouloir tout concilier. Cela nous amène enfin à vouloir construire avec les autres peuples du monde une culture de la paix et du respect mutuel, y compris dans le commerce.

Ton chef, Camil, trouve mes idées utopiques, il me qualifie de rêveuse. J'assume ! On a besoin de rêves, les yeux dans les étoiles et les deux pieds sur terre, pour bâtir un Québec où la population se mobilise autour de projets épanouissants et solidaires. Le projet de pays soutenu depuis des décennies par le Parti québécois n'était-il pas lui aussi fondé sur un idéal ?

Changer de cap

Gouverner à gauche, c'est difficile ? Oui, bien sûr, mais on y arrive mieux lorsqu'on pense à gauche et qu'on propose clairement à la population un changement de cap, une vision de l'avenir où les citoyens sont mobilisés pour chercher ensemble le chemin d'une véritable solidarité.

Voilà le fond de ma pensée. J'écris ceci en tout respect pour les militants du Parti québécois qui ont tenté ces dernières années et tentent encore aujourd'hui de susciter un virage à gauche au sein du parti et de l'aile parlementaire. Je demeure sceptique... mais tant mieux si vous réussissez. Le Québec ne s'en portera que mieux !

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