lundi 23 janvier 2012

Au LAC

Les plus beaux samedis d’hiver quand j’étais enfant, c’était ceux où on allait "au Lac" avec papa.

Nous sommes au début des années 50 et mon père enseignant à la campagne, en plus d’initier son village au patin à glace découvre le ski. Assez pour acheter 3 paires de ski avec bottes et bâtons dans le catalogue Eaton : une pour lui et les deux autres pour les deux plus vieux, mon frère et moi.

Le Lac quant à lui est situé à un kilomètre à travers champs derrière la maison où nous allons à pied pendant toute l’année. Le printemps et l’été pour y pêcher et s’y baigner, l’automne pour y chasser le canard et l’hiver pour patiner et faire du ski.

Un hiver la neige avait tardé mais pas le froid. C’était exceptionnel, pas un centimètre de neige dans les champs et le lac qui avait complètement gelé sans qu’il y ait eu aucun vent ce qui avait donné ma plus belle glace à vie. Un samedi matin papa décida que nous allions aller patiner au Lac. Nous étions alors 6 garçons à la suite mais le dernier étant encore trop jeune les cinq plus vieux s’habillèrent, les deux plus vieux apportèrent leurs patins et on se mit en route à pied avec un lunch préparé par maman. Il faisait très froid mais pas de vent ce qui nous aida dans la traversée de ces champs complètement plats derrière chez-nous. Arrivés sur la colline surplombant le Lac, la vue était féerique. Les champs encore complètement jaune entourait un lac d’un bleu très foncé, presque noir, c’était magique.
Transparente comme du verre nous avons mis quelques temps à nous hasarder plus loin sur cette glace. Nous avions apporté une grande hache pour vérifier l’épaisseur, ce qui ne fut pas facile. Une fois cette précaution à peu près prise, papa s'élança et nous à sa suite sur cette patinoire à perte de vue que nous avions l’habitude de sillonner beaucoup plus lentement l'été en chaland à rames. Nous avions l'impression d'être des surhommes de couvrir une pareille distance, à une telle vitesse en ayant l'impression d'être au dessus du vide. Le lac complètement entouré de petites collines nous donnait l'impressions d'une patinoire de géants. Nous allions où nous voulions excepté les deux ruisseaux, un qui alimente et l'autre qui permet l'écoulement, dont il ne fallait pas s'approcher. Cela ne nous empêcha pas d'aller au plus près pour tester un peu les limites de notre bravoure(bravade) ainsi que la résistance de cette glace qui s'amincissait jusqu'à devenir belle eau claire qui nous attirait...
La glace était si transparente que nous pouvions voir le sable au fond du lac comme en été, à tel point que nous avons suivi pendant assez longtemps un rat musqué comme derrière un aquarium. 
Au bout d’une heure ou deux de montées et de descentes à l’emporte pièce il a bien fallu ralentir et trouver d’autres activités nous permettant de nous reposer. Un d’entre nous eut une idée. On prendrait la hache et en plaçant quelqu’un à chaque extrémité du lac (environ 300 ou 400 mètres) on se la lancerait en la faisant tournoyer sur la glace. En la tenant par le manche nous nous donnions un élan que nous bloquions  comme un lanceur de marteau en athlétisme. La hache partait en tournant sur elle-même à grande vitesse sur la glace parfaite et dure avec un son dont nous nous rappelons tous. La présence de l’eau du lac sous la glace provoquait au passage de la hache un bruit caverneux, sourd mais en même temps vibrant et formidable comme les effets spéciaux des films actuels. En plus, la distance couverte était tellement formidable que seule notre fatigue et probablement la fin de la patience de papa réussirent à nous faire accepter le retour.

La marche d’un kilomètre à travers champ à la suite d’une telle journée était le couronnement, la cerise sur le gâteau. Nous avions l’impression d’avoir accompli les travaux d’Hercule, nous étions fatigués mais tellement fiers et émerveillés.

Je vous ai aussi parlé de skis que papa avait achetés sauf qu’à La Doré au début des années 60 les centres de ski n’existaient pas et de toute façon aurait été beaucoup trop dispendieux pour nos moyens. Mais nous avions le Lac et ses collines, surtout une : la Côte du Lac. Dans mes souvenirs nous allions nous glisser à la Côte du Lac à tous les samedis d’hiver. Ce qui signifiait que nous faisions deux kilomètres de ski dans la neige non damée avec des skis plus conçus pour la descente que pour la randonnée. Mais ça dans le temps, nous ne le savions pas et nous partions le matin avec le lunch de maman. Arrivés au pied de la Côte du Lac, nous mettions les provisions à l’abri et nous tapions une piste de descente en montant la côte en parallèle un pas après l’autre. Quelquefois la neige était si profonde et c’était si difficile de faire la trace que nous ne réussissions à descendre qu’en après-midi après le lunch. 
Étant donné la qualité de notre damage de piste vous ne serez pas surpris d’apprendre que les « tomberies » n’étaient pas rares  mais n’étaient pas graves non plus sauf quand ça arrivait à papa. Là nous étions beaucoup plus inquiets et nos rigolades qui accompagnaient habituellement de telles mésaventures, étaient intériorisées jusqu’à ce qu’on ait le OK paternel. Là encore ces journées d’où nous revenions fourbus, les pieds gelés souvent, et  où nous avions dû après une bonne journée revenir par nos propres moyens nous ont tous donnés la piqûre du grand air hivernal. À cette époque personne en campagne ne pratiquaient de loisirs de ce genre. Quand les motoneiges sont arrivées un peu plus tard papa en acheta et se mit à la motoneige. Je me rappelle avoir passé des journées d’hiver en skis (les même vieux skis) attachés derrière la motoneige  qui heureusement était beaucoup moins puissante que maintenant, mais c’était tout un exercice pour mon frère et moi de passer la journée ainsi.
En 1972, je me suis acheté mes premiers skis de fond. C’est comme si on avait inventé ça pour moi. Dès les premières années, je faisais des randonnées de dizaines de kilomètres. À cette époque papa délaissa et vendit sa motoneige pour faire du ski de fond ce qu’il fit jusqu’à ce que des problèmes d’équilibre rendirent l’activité trop dangereuse. Cette privation fut le début de la fin pour lui. Quant à moi, je n’ai jamais cessé le ski de fond et à chaque fois que je glisse sur la neige je me rappelle d’où je tiens ça.

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